Comment l’idée de quatre amis étudiants est-elle devenue une affaire de plus de 50 millions d’euros
Bogdan Padiu fait partie d’un groupe de quatre amis qui, lors de la période estudiantine, ont misé sur l’esprit d’entreprise en IT. Une décennie plus tard il gère une affaire dont le chiffre d’affaires est de plusieurs dizaines de millions d’euros. Mais ce n’est pas le chiffre d’affaires qui est important, mais d’autres dimensions:Teamnet est l’entreprise qui a informatisé le système 112, l’Inspection du travail ou les consulats de Roumanie, et actuellement on travaille à une technologie de pointe:un projet de drone. Et on veut qu’elle devienne un leader régional.
Il s’impose, à première vue, par la hauteur du joueur de basket-ball, 2,01 et il sourit largement, sans retenues. À l’âge de 35 ans il a l’air d’un jeune programmeur, mais il répond aux questions avec la diplomatie d’un homme d’affaires dont l’expérience couvre plus d’une décennie d’activité et avec la sûreté que les réussites nous insufflent. Il a commencé par étant primé aux Olympiades d’informatique, pendant le lycée, après qu’en ‘90 ou ‘91, en sixième année, il voyait pour la première fois un ordinateur ce qui lui a paru extrêmement intéressant. Deux ans plus tard, il a remporté le premier prix avec couronne et a reçu comme cadeau un CIP, un micro-ordinateur de production roumaine, fabriqué avant 1994.
« Je programmais environ 10% du temps, et je jouais pendant le reste, il faut que je l’admets », déclare Padiu aujourd’hui. Au lycée de Ploieşti, où il a étudié l’informatique il a appris qu’il aime à faire aussi d’autres choses avec l’ordinateur, et pas seulement de jouer, il a découvert des langages de programmation et des bases de données et c’est de ce point-là que tout allait se dérouler à une très grande vitesse. Il a travaillé pour une entreprise à Ploieşti, et en 2001, à la fin de la faculté, il a fondé Teamnet, avec trois amis, George Stan, Ovidiu Traşcu et Bogdan Nedelcu. Il a choisi d’être le directeur de l’entreprise, déterminé par la question d’un ami:« ..est-ce que tu veux rester un programmeur pour la vie ? ». « J’y ai pensé et je me suis dit, toutefois, non. J’aime ce que je fais maintenant, mais à long terme, je pense que je souhaiterais faire aussi d’autres choses ».
Il s’est tourné vers le management et a été admis à l’ASE (l’Académie d’Études Économiques), en 1997. Il a fini en 2001, une période difficile pour l’économie, dans laquelle on parlait de l’entrée de la Roumanie en état de cessation de paiements. Au cours de la période estudiantine il a travaillé en tant que programmeur au sein d’Asesoft, l’entreprise fondée par Sebastian Ghiţă, entrepreneur de Ploieşti, qui a été collègue de lycée avec Padiu.
Teamnet, comment est-elle née ? « Nous avions pensé à une entreprise de logiciels depuis longtemps. Nous savions qu’elle va naître à un moment donné. En 2001 cette possibilité a pris forme; Asesoft avait besoin d’une entreprise de logiciels, nous avons eu une discussion, un financement a été reçu et c’est ainsi que l’entreprise a été lancée ». Le financement, d’un montant de 100.000 de dollars, est venu aussi de Sebastian Ghiţă, qui a reçu en échange 80% des actions de l’entreprise. Au fil du temps, la structure de l’actionnariat a changé:Sebastian Ghiţă a renoncé à ses actions dans l’entreprise, et Padiu a repris une partie de ses actions, détenant aujourd’hui plus de 65% des titres.
Le passage d’un balcon à un autre
« Nous avons commencé dans un appartement à Bucarest, vis-à-vis du magasin Unirea, payant un loyer d’environ 600 dollars. Le premier élargissement a eu lieu l’année suivante, quand nous avons acquis encore un appartement. On passait de l’un à l’autre sur le balcon, ils étaient dans des bâtiments voisins, mais les balcons étaient collés et l’accès était facile, sourit Padiu. En outre, ils ont eu également un plan d’affaires, qui n’était pas établi conformément aux règles. « C’était un fichier Excel où on a enregistré des données d’après notre savoir-faire. Il n’était pas assez bon, maintenant j’y en souriais, mais c’était un plan. Les revenus comprenaient certains clients hypothétiques, qui nous assuraient certains revenus hypothétiques, mais les dépenses comprenaient quelques entrés assez concrètes – loyers, salaires ».
À 23 ans il était directeur général, parce qu’il était diplômé de management, alors que ses collègues avaient suivi les cours de l’école polytechnique. Dans la première année ils ont mis au point une application de gestion des documents, qu’ils ont vendue « avec un certain succès ». Ensuite, ils ont démarré encore d’autres contrats, notamment de sous-traitance. « Nous avons prospecté des clients externes, mais les choses ne se sont pas déroulées de manière phénoménale; nous avons eu un client en France avec qui nous avons négocié pour un temps qui nous a semblé excessivement long, environ trois semaines. À l’époque il semblait un contrat complexe, avec des objectifs majeurs, mais, en fait, il ne savait pas vraiment ce qu’il voulait. Au fil du temps, nous avons réalisé ça, car il venait chaque mois disant « je veux quelque chose d’autre », « je veux quelque chose d’autre », « vous n’avez pas fait ce que je vous ai demandé, je ne vous paie pas ». C’était la première fois quand notre entreprise était confrontée aux difficultés sérieuses, nous l’avons surmonté, mais nous avons appris la leçon ».
En 2004 ils ont reçu la certification ISO 9001 et ont investi dans la gestion de projet; il dit que, pour un entrepreneur, les premières deux années sont critiques, car c’est juste la période où il apprend beaucoup. « On pense que le monde fonctionne dans une certaine manière, et on se rend compte qu’il y a une différence, parfois importante, entre la théorie et la pratique ».
Les premiers employés provenaient du cercle d’amis, qui, dans les deux premières années, s’est toujours élargi, et les premiers recrutements standard ont été organisés pour les postes administratifs. Ils parlaient aux employés de grands projets ambitieux et constituaient un point attrayant aussi pour l’Internet à grande vitesse ou les dimensions généreuses de moniteurs. Le nombre des appartements loués est accru à trois, et ensuite, en 2004, l’entreprise s’est installée dans un immeuble de bureaux. La première année a enregistré un chiffre d’affaires d’environ 70.000 d’euros, et le premier million a été gagné en 2006.
« Nous avons senti alors que nous avons passé de la phase d’entrepreneuriat artisanal à la phase de business concret, avec des départements, avec une structure de gestion. C’était le point où on a commencé à faire des affaires ». C’est la période dans laquelle Padiu a bénéficié d’une bourse EMBA au sein de l’Université Wirtschafts de Vienne, obtenant le diplôme relevant en 2008. En outre, en plus de la formation, Teamnet avait aussi à gagner suite à la croissance économique accentuée enregistrée par la Roumanie à l’époque. C’est pourquoi en 2009 les recettes de l’entreprise ont dépassé 10 millions d’euros. La crise économique n’a pas ralenti la croissance du chiffre d’affaires, qui a atteint en 2012 52 millions d’euros; « jusqu’à 100 millions on a besoin de quelques années de plus », dit Padiu, « parce qu’à présent la croissance est de plus en plus difficile, dans un marché toujours plus concurrentiel. La crise prolongée laisse sa marque sur le marché, à tout niveau ».
Expéditions de conquête
Par conséquent, une période de croissance continue, spectaculaire mais en quelque sorte linéaire, influencée par la collaboration avec de larges entreprises de logiciels d’où ils ont appris des leçons importantes de business. Et le nombre d’employés a augmenté chaque année, dans le même rythme avec l’évolution du chiffre d’affaires; actuellement, sur les environ 600 employés, 60% constitue la composante productive, et le reste travaille dans le champ d’assurance qualité ou de gestion de projet. Les programmeurs sont recrutés principalement suite à un programme de stages pour les étudiants à l’école polytechnique ou d’études économiques, mais on est aussi à la recherche des gens performants sur le marché. Il n’est pas d’accord avec bon nombre des critiques à l’adresse de l’école roumaine, mais considère que cela pourrait améliorer. « Les gens sont intelligents et passionnés et on peut trouver des gens hautement qualifiés. Tous les prix qu’on est remis aux Olympiades internationales, ce n’est pas par hasard, il ne s’agit pas des gens qui ont eu de la chance. Les résultats sont toujours bonnes, il est clair qu’il y a un système qui produit de la valeur, des professionnels ». Le problème est que l’école n’offre pas d’expérience pratique convenable, beaucoup d’étudiants ne sont pas impliqués dans des activités pratiques.
Au sujet de l’entrepreneuriat, il dit que cela implique beaucoup de travail et beaucoup de responsabilités. « Il n’y a presque personne à qui aller et dire « je suis fatigué, je ne peux plus ». Tu sais qu’il faut aller de l’avant et, si tu veux vraiment réaliser quelque chose, il faut trouver l’énergie nécessaire pour parcourir aussi la suivante étape importante. Et il faut parcourir de telles étapes chaque année. Si on ne progresse pas, on ne reste pas en place, mais on tombe ». La prochaine étape importante pour Teamnet est de faire connaître l’entreprise à l’échelle régionale. “Nous sommes déjà présents en Turquie, la Serbie, la Moldavie et on accède aussi aux projets sur d’autres marchés, ponctuellement. Nous avons également un bureau à Bruxelles.
Le fait que les Roumains n’ont pas l’expérience nécessaire pour pénétrer d’autres marchés est un obstacle majeur, avec des nuances liées à la culture locale. « Il y a d’autres cultures qui ont une grande tradition dans l’initiation des expéditions de conquête de nouveaux marchés. Malheureusement, cette expérience ne nous caractérise pas. L’expérience internationale de Teamnet commence en 2006, quand on a gagné une place dans un Consortium européen engagé par Bruxelles dans un projet de recherche pour les véhicules intelligents, aux cotés de grands noms tels que Philips, BMW et autres fabricants importants de l’industrie automobile et IT. « Pour entrer dans le Consortium nous avons frappé à la porte, nous avons travaillé, nous avons été assez persévérants, parce que de nombreuses portes se sont fermées jusqu’à ce qu’une soit finalement ouverte ». Après les premiers projets, à mesure qu’ils ont accumulé de l’expérience, les choses sont devenues un peu plus légères.
Sans vendeurs
Mais avait-il été également des périodes d’épreuve ? Le moment le plus difficile a été celui avec le client en France. Après cela, mais pas au même ordre de grandeur, en 2009, « quand nous avons réalisé que l’entreprise avait grandi et il s’imposait une réorganisation, parce que sinon nous ne pourrions plus continuer. Nous avons procédé à une réorganisation majeure à cette époque, sur secteurs d’activité, nous avons créé un système nous permettant d’avoir connaissance de la modalité dont le client travaille. Pendant longtemps, nous avons pensé qu’il est important d’être les plus performants programmeurs du marché, de faire le meilleur code. En 2008-2009, nous avons réalisé qu’il faut comprendre nos clients et que c’est justement ça qu’ils attendent. De réaliser quels sont leurs besoins et de trouver des solutions qui répondent à ces besoins ».
Une particularité de Teamnet est qu’il n’y a pas une équipe de vente au sens classique du terme, des gens spécialisés dans la vente. À Teamnet il y a des gens spécialisés du point de vue technique, qui peuvent imaginer des solutions, et qui ont également des compétences de vendeurs. « Il s’agit d’une vente qui est liée à la fois à la persuasion et à la compréhension des produits assez complexes qu’on vend. Il y avaient de nombreuses tentatives de former une équipe de vendeurs classiques, employés du marché, mais cela n’a pas fonctionné parce que les gens ne comprenaient pas ce qu’ils vendaient.
En 2010, l’entreprise a commencé son expansion à l’échelle internationale, et c’est le deuxième moment d’épreuve. « L’expansion a eu lieu en plusieurs étapes, des investissements majeurs dans ce domaine ont été faits depuis le 1er janvier 2012, lorsque nous avons créé une unité spécialisée, nous avons ouvert des bureaux en Serbie et en Turquie, ce qui a impliqué des investissements majeurs. Pourquoi la Turquie ? « Parce que c’est un grand marché, en développement, il y a des similitudes avec celle de la Roumanie, c’est un marché qui est en plein procès de modernisation dans le domaine public, elle a exprimé son intention d’adhésion à l’Union européenne. Et c’est un marché qui se déplace lentement:Teamnet a déposé des offres pour plusieurs projets, et même pas après neuf mois les autorités n’ont encore pris une décision. « Nous sommes optimistes », sourit Padiu. En Serbie, l’entreprise a gagné l’an dernier un contrat sur la sécurité des frontières; le délai d’achèvement est la fin de cette année.
Des douanes est lié aussi l’un des projets les plus importants de l’entreprise:il s’agit de celui ayant comme objet l’octroi de visas, e-visa, installé dans tous les consulats roumains à travers le monde, un système conforme aux standards de Schengen, projet qui a reçu des félicitations dans le Parlement européen. La valeur du contrat était d’environ 7 millions d’euros et doit être achevé en sept mois, au lieu d’une période de développement normal couvrant plusieurs années.
Dans le top des systèmes développés est aussi celui de l’Inspection du travail, le registre électronique du personnel, connu aux entreprises par le biais de l’application Revisal. « Il s’agit d’un système intégré qui traite les données envoyées par les entreprises et en fait beaucoup plus que ça », dit Bogdan Padiu.
Un autre système important, mais moins connu est le SIG (le système d’information géographique) à travers lequel tous les pays de l’Union européenne communiquent des données liées à la protection de l’environnement et des aires protégées. « Nous sommes aussi fiers du système de 112, c’est un système intégré avec la police et les pompiers pour la gestion des situations d’urgence, par le biais duquel les opérateurs peuvent voir, tout à travers d’un système SIG, d’où est venu l’appel, où il y a le problème, où sont des unités et comment peuvent-elles être alloués de manière optimale, quelles sont les unités libres ».
Un cinquième projet est celui lié aux UAV (véhicules aériens sans pilote connus sous le nom de drones); c’est un projet de recherche. « Nous voulons voir les utilisations les plus utiles de ce type d’appareil ». Il ne s’agit pas des dispositifs de vol télécommandés, mais des aéronefs disposant de leur propre système de contrôle, leur propre pilote, qui reçoivent un plan de vol et l’exécutent de façon autonome. « Ils volent seuls et d’ici le gros avantage d’avoir 10 à 20 aéronefs coordonnés par une équipe de seulement une ou deux personnes », dit Padiu.
Le plus gros contrat se déroule avec la Mairie de Bucarest, développé pour la gestion des situations d’urgence, sur plusieurs années, d’un montant de plus de 20 millions d’euros.
Au total, plus de 70% du chiffre d’affaires de Teamnet provient du secteur public, « la niche à laquelle nous nous sommes adressés, le client qui, à l’heure actuelle, grâce à des fonds de l’UE, déroule la plupart des projets dans le secteur informatique ». Un autre aspect est que, en raison de la crise, le secteur privé a considérablement réduit ses coûts.
La fête de cinq ans
Demeurant dans le secteur de développement de produits, Teamnet est devenue suffisamment mature pour qu’elle puisse développer ses propres produits, dit Padiu. « La solution Ymens, de cloud, lancée l’an dernier, se développe, grandit en termes de nombre d’utilisateurs et nous vont apporter de plus à la plate-forme des produits qui ne sont pas développés par nous, afin de présenter une offre aussi complète que possible. Nous espérons être sur le seuil de rentabilité (break-even) en décembre, pour le moment nous avons dépassé 2 millions d’euros investis ». Le chef de Teamnet dit que l’industrie IT en Roumanie est un point fort, et qu’on va essayer, dans un proche avenir, de fusionner avec l’IT local, dans le but d’élaborer une sorte de plan d’affaires national. « Nous, en tant qu’industrie, nous n’avons pas demandé des facilités et n’avons jamais eu de prétentions de ce genre, mais nous avons à offrir des avantages concurrentiels, de la valeur, des emplois ou des exportations ».
Un autre aspect unique de l’entreprise est la structure de direction même, c’est pourquoi la question vient naturellement:comment dirige-t-on une entreprise avec quatre propriétaires ? « Par consensus. S’il n’y a pas de consensus, il dépend du type de décision. Il y a des décisions d’ordre opérationnel, où, en tant que président du groupe, je dis:« allons-y faire comme ça », et il y a d’autres décisions stratégiques, où je veux qu’on parvienne à un consensus, et nous en débattons jusqu’à ce que nous parvenions au consensus visé ». De toute façon, les quatre partenaires sont en charge de différents aspects au sein de l’entreprise:du domaine des solutions, médical, des projets stratégiques, chacun est spécialisé dans un domaine particulier.
La relation avec les employés a toujours sa spécificité:on investit dans la formation professionnelle ou dans la certification des gens, mais on organise aussi une sorte de petite manifestation lorsqu’un collaborateur célèbre cinq ans d’ancienneté au sein de Teamnet. « C’est une réussite à la fois pour lui et pour nous, il signifie que nous avons eu un bon parcours et que nous avons créé une équipe qui fait la chimie nécessaire ». Une partie de la chimie réside aussi dans les salaires des programmeurs, qui, dans certains cas, atteignent même 3.000 euros. « L’argent est un facteur d’hygiène, si quelqu’un ne gagne pas assez, à un moment donné il deviendra mécontent et partira, alors il faut que nous suivons le marché. Mais les gens sont beaucoup plus motivés par la passion, par les projets intéressants auxquels ils participent et par le perfectionnement professionnel ».
Il considère qu’un secret pour le développement d’un produit de succès, dans le domaine de la technologie, réside dans son test, son succès sur le marché local. « À mon avis, c’est vraiment difficile si on lance un produit adressé dès le début au marché étranger. Ici on connaît des gens, comment ils pensent, la culture; si on vise le marché américain, je pense que c’est compliqué, je ne croirais pas à un tel projet ».
Le futur ? Les technologies cloud, par exemple, et, dans 10 ans, une entreprise de 500 millions d’euros, peut valoir un milliard. « Nous nous sommes engagés sur un chemin. C’est une réalité qui, rétrospectivement, apparaît comme un rêve. En sachant ce que je sais aujourd’hui et ayant en vue le parcours entier, je n’aurais pas eu le courage de rêver là où on y est arrivé à présent ».
Auteur: Dorin Oancea
Publication: www.businessmagazin.ro